Gianpaolo Girardi Propostavini

#16 Interview avec Gianpaolo Girardi, Trento

“Quand on déguste un vin, se limiter à dire “j’aime ou j’aime pas”, c’est très simpliste. En revanche, quand on cherche à creuser ce qu’il y a derrière le goût, l’histoire, le travail, les personnes derrière ce vin, déguster prend alors une toute autre signification. “

Les rencontres inspirent, attisent notre curiosité et nous font grandir. J’ai eu le privilège d’avoir Gianpaolo Girardi comme guide pour découvrir sa région, le Trentin et surtout d’échanger sur l’œuvre philanthropique d’une vie : la préservation et le développement des cépages autochtones de cette région. 

Il est 8h30, nous nous retrouvons à l’entrepôt de Propostavini situé à Trento, la société de distribution de vins italiens que Gianpaolo a créée en 1984. Quelques échanges avec l’équipe, un café et je pars visiter pour la première fois les domaines emblématiques de la région. Sa carrure et sa grande taille lui donnent une prestance quelque peu intimidante. Ses mains sont larges, musclées et son rire respire l’humanité et la gentillesse. Bien que nous nous connaissions depuis des années, nous n’avions jamais eu de moment en tête à tête. Ca sera de ¾ quart dans la voiture, pour être plus exact, avec une main sur le volant et un coup d’œil jeté sur la route sinueuse à flanc de montagnes entre deux phrases passionnées. Il m’explique son projet de Vini dell’Angelo et les convictions qui l’ont guidées depuis presque 40 ans. Il a cette finesse de formuler avec soins ses phrases dans un italien précis, clair et espacé pour que je ne perde pas le fil. Un fil pas facile à garder car mon esprit était aussi absorbé sur la route et le trafic. Gianpaolo en avait quasiment fait abstraction, tellement il était concentré par notre conversation. 

10h, nous venons de terminer notre première visite. J’ai ressenti l’envie et le besoin de mettre par écrit son parcours. Spontanément, je lui demande s’il serait d’accord pour m’accorder une interview pour Cépages Magazine. Un privilège chargé de passion que je suis ravie de vous partager. 


Peux-tu nous parler de la région du Trentin Haut Adige? 

Le Trentin est une province située tout au Nord de l’Italie aux confins des Alpes et des Dolomites. Le rattachement de la région à l’Italie est récent et l’influence austro-hongroise ici est forte. Nous sommes italiens mais notre héritage culturel est autrichien d’ailleurs à Bolzano, nous parlons allemand comme première langue! Ces caractéristiques liées à l’histoire, au terroir, au climat et à la géologie ont façonné l’histoire viticole de toute la région avec parfois des dérives. 

Pourquoi la renommée des vins du Trentin Haut Adige est difficile à l’international? 

Pour des raisons historiques, la région compte de nombreuses aires de production et chaque zone viticole a ses particularités liées à la géologie, à l’altitude ou encore à l’exposition. Par conséquent, présenter une image du Trentin de manière univoque dans le monde, comme en Bourgogne par exemple, est impossible. 

Aujourd’hui, le Trentin cherche à défendre une image forte sur le marché mondial. Il y a des réponses mais le chemin est long. Cela ne dépend ni d’un journaliste, ni d’un guide ou d’un producteur mais de l’émulation des vignerons à parler d’une voix unique dans le monde. Il y a des succès avec la création de l’appellation Trento DOC. Zone de production de vins effervescents élaborés selon la méthode classique qui a réussi à concurrencer la Franciacorta, l’unique autre appellation en Italie importante pour la production d’effervescents.

En quoi le Trentin est une région viticole incroyable? 

C’est une Terre bénie des Dieux. Dans le sens où il y a peu de zones en Italie où la vigne pousse si bien avec une si grande qualité. Avec le réchauffement climatique, notre chance est d’avoir des vignes de 800 à 1000 mètres et cela ne doit pas être sous-estimé. La diversité du Trentin est unique. 

La région la plus productive est la Val Lagarina. Au Nord, il y a la Vallée de l’Adige et tout autour il y a des zones plus petites : Camporo Italiano, connu pour la production du Terolgedo, Le Colline Avisane, fameux pour la production du cépage blanc autochtone la Nosiola. Et de façon encore plus marginale, il y a la Val dei Laghi au Nord de Trento qui bénéficie d’un climat très spécifique avec l’influence du lac de Garde ou encore la Valsugana et la Valle di Non, cette dernière réputée pour ses pommes. 

Nous produisons du vin avec des rendements raisonnables mais l’introduction de cépages internationaux a été un frein à une reconnaissance de la région sur le marché européen. Je crois à nos cépages autochtones historiques et nous devons faire valoir cette identité sur les tables des restaurants en Europe. 

Peux-tu nous parler de ton projet Vini dell’Angelo?

Les deux cépages les plus plantés de la Sicile au Haut-Adige dans les années 90 étaient le Pinot Grigio et le Merlot. En 2021, plus de 70% de la production des vins blancs et rouges du Trentin est issue de seulement trois cépages : Pinot Grigio, le Müller Thurgau et le Chardonnay. Des cépages qui n’ont aucun lien avec l’histoire de la région! C’est pourquoi, dans les années 80, j’ai fait le choix éthique bien loin des considérations commerciales de défendre nos cépages régionaux avec le programme Vini dell’Angelo

Vini dell'angelo, Propostavini

En quoi consiste le projet Vini dell’Angelo? 

Dès 1988, j’ai commencé à créer une collection de sélections massales des cépages autochtones. Nous avons commencé par identifier les cépages dans les archives et lister ceux qui étaient toujours existants. Cela a été un travail de mémoire titanesque où nous avons recueilli les témoignages des personnes sur leurs pratiques de culture et leurs observations.  

La première étape était de préserver cet héritage de biodiversité culturelle. Dans un second temps, nous avons cherché des vignerons partenaires pour replanter et cultiver ces cépages oubliés. Au début, je me suis pris plusieurs portes car personne ne voulait entendre parler de ces cépages! Pour les convaincre, je m’engageais à acheter toute la production quoiqu’il arrive et à commercialiser les bouteilles. 40 ans après, ces vignerons sont très contents d’avoir des vins identitaires de la région du Trentin car ils défendent un terroir et ils ont une histoire à raconter. C’était un travail de longue haleine pour les faire valoir. 

Quel bilan fais-tu 30 ans après? 

La priorité au départ était de sauvegarder tous ces cépages. Aujourd’hui, il n’y a pas de problème d’un point de vue de la viticulture car ce sont des cépages qui ont été cultivés depuis des centaines d’années. En revanche, le challenge est de faire un bon vin de qualité  que le marché comprenne et accepte. 

Nous avons des restaurants et partenaires qui mettent une sélection “Vini dell’Angelo” sur leur carte des vins. C’est un moyen pour eux de parler de vins identitaires de la région. Les consommateurs sont friands de ces vins ou autres produits typiques d’une région. Parler d’un Pinot Noir ou d’un Cabernet Sauvignon ici, n’a pas de sens quand on y pense! 

Pourquoi l’ange? 

L’ange est celui qui aide à sauver une cause. Mon ami cher qui était peintre m’avait offert une peinture où il y avait un ange qu’il avait peint en pensant à moi. Nous l’avons utilisé pour le logo. 

Peux-tu nous parler de quelques cépages? 

Le Teroldego est un cousin du Lagrein. Un vin de grande force et de structure ou encore le Marzemino, un autre cépage rouge de la Vallagarina. Ces cépages autochtones reflètent la diversité et la richesse de notre région. Je pourrais aussi évoquer La Nosiola, cépage blanc qui permet d’élaborer plusieurs types de vin : tranquille, effervescent, paille, liquoreux et le Vin Saint où les raisins sont séchés sur clayettes jusqu’à Pâques. Pour les effervescents, je mentionnerai le Lagarino Bianco qui a une acidité incroyable. 

Comment ces cépages autochtones s’intègrent-ils dans le système d’appellations? 

Pour rappel, pendant plus de 20 ans les vins d’Angelo Gaja étaient classifiés en vin de table. Les appellations sont un acte politique pour garantir une certaine qualité à l’export mais les appellations ne déterminent pas la qualité du vin. Le nom du cépage peut être l’équivalent à un nom de marque comme par exemple “Negrara” suivi de l’appellation Vino da Tavola, IGT ou DOC. 


Quels sont les prochains défis de Propostavini? 

Nous devons continuer de défendre les produits du terroir de notre région et de les faire connaître. Cela passe par la presse, les dégustations, les salons, la force commerciale… Nous défendons le lien qui unit le produit à son terroir (le sol, la culture, la philosophie..) et cela peu importe le vigneron. Ce sont des expressions authentiques et uniques de chaque région qu’il faut savoir apprécier et remettre dans son environnement sans faire de comparaisons avec d’autres régions viticoles.

Nous devons réussir à vendre ce qui nous rend unique. 

Quelle est ta plus grande fierté? 

Nous avons été pendant 20 ans à contre-courant et aujourd’hui, le marché a changé. Les gens comprennent la valeur culturelle des produits de terroir et nous avons, à notre échelle, contribué à cela. Ma plus grande fierté est d’avoir cru très tôt au potentiel de ces vins et d’avoir persévéré malgré des années difficiles. 

Comment as-tu gardé cette énergie pendant toutes ces années? 

Je suis un soixante-huitard qui croit aux rêves. Cette conviction personnelle, je l’ai nourrie d’une volonté philanthropique, humaine et personnelle bien loin des considérations commerciales. C’était une évidence pour moi qu’il fallait garder l’énergie pour y parvenir. 

Quels sont les messages de sagesse que tu aimes transmettre? 

Quand on déguste un vin, si on se limite à dire “j’aime” ou “j’aime pas”, c’est simpliste. En revanche, quand on cherche à creuser ce qu’il y a derrière le goût, l’histoire, le travail, les personnes derrière ce vin, déguster prend une autre signification. Je recommande à tout le monde de creuser derrière tout ce qui peut leur plaire. D’aller comprendre, de s’intéresser, de cultiver sa curiosité pour donner encore plus de puissance d’âme à cette expérience.


Flot de conscience

  • Livres : Fernando Pessoa et Joseph Roth
  • Film : Buena Vista Social Club m’émeut à chaque fois. 
  • Musique : Baroque 
  • Millésime : 1984 à Trentino
  • Cépage : Pauline car il n’est pas encore dans la collection
  • Une bouteille mémorable : pour apprécier un vin, il faut une bonne compagnie. Les deux vont ensemble d’autant plus quand une bouteille te surprend. La dernière, Heida, un vin suisse qui m’a transporté. 
  • Un lieu : les villes italiennes à la mer ou dans les montagnes

Pour suivre Gianpaolo Girardi

Le site web de Propostavini et le projet Vini dell’Angelo


Vous pouvez me contacter à marie@cepagescommunication pour toute idée ou juste pour discuter, j’adore cela! Vous me retrouverez sur instragram @cepagescommunication ou encore ma page Linkedin

L’ensemble de ces textes et photos est le fruit d’un travail personnel, passionné, engagé et de longue haleine. Je vous remercie d’avance de militer pour le respect de la création artistique en ligne. Si mon travail vous plait et vous inspire des projets, contactez-moi à marie@cepagescommunication.com. Toute reproduction ou plagiat sont interdits.