Armand fait partie de cette jeune génération de vignerons en Bourgogne. Il a eu la chance d’hériter d’un patrimoine familial exceptionnel à Chassagne-Montrachet avec des crus qui font rêver le monde entier. Un héritage qu’il prend à bras le corps. Il s’investit pleinement dans le projet familial pour, à son tour, transmettre le flambeau à la génération suivante. Une responsabilité qu’il prend volontiers très jeune.
Il instaure sur la propriété une viticulture basée sur les principes de l’agroécologie et de la permaculture. Oui, il prouve que l’on peut être jeune vigneron et que l’on peut utiliser le bon sens de ses grands-parents pour préserver les joyaux de parcelles! Avec sa femme, il s’est entouré d’une équipe jeune, dynamique pour allier modernité et tradition, pragmatisme et élégance.
Je vous propose de découvrir Armand Heitz, un jeune vigneron engagé, moderne avec un bel esprit paysan. Et si vous tombez sur une de ses bouteilles, goûtez ! C’est excellent!
Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours?
J’ai grandi à Dijon où j’ai suivi un parcours scolaire classique. Adolescent, je voulais être moniteur de voile car tous les étés, j’avais la chance de partir en Bretagne avec mes parents.
Mais quelques années après, j’ai choisi l’œnologie. Cela était plus concret et cela m’ouvrait plus de portes. En parallèle, reprendre le projet familial me tenait à cœur. J’ai été au Lycée viticole de Beaune, puis j’ai passé mon diplôme d’œnologue en Suisse à Changins.
As-tu senti une pression familiale?
Ils espéraient et ils savaient très bien qu’il ne fallait pas forcer les choses sinon cela aurait été contre-productif. Ils ont été suffisamment compréhensifs pour me laisser le champs libre et au final cela a fonctionné. J’ai deux sœurs, l’une est juriste et la plus jeune travaille dans le commerce en tonnellerie.

Peux-tu nous présenter le Domaine Heitz-Lochardet et son histoire?
Le domaine a été créé en 1850. A l’époque, il s’agissait d’une activité de négoce. A la fin du 19ème siècle, le phylloxera et la guerre ont engendré l’effondrement du foncier. Mes ancêtres ont donc vendu une partie des différentes propriétés jusqu’en 1950, date à laquelle mon grand-père est revenu de la guerre. Architecte, il s’est installé entre Dijon et Chassagne-Montrachet et il a décidé de mettre les vignes en fermage et métayage. La génération suivante, celle de ma mère, a également gardé les vignes. Ils n’ont rien vendu tout en espérant qu’un jour un repreneur dans la famille arriverait. Mon oncle et ma tante n’ont pas eu d’enfants. Seule ma mère et par conséquent nous trois, avec mes sœurs, représentent la nouvelle génération.
Mon premier millésime au domaine a été en 2013 et aujourd’hui le domaine n’est pas encore au complet. Toutefois l’essentiel, une vingtaine d’hectares, est sous notre exploitation.
Dans les vignes, tu travailles une viticulture le plus raisonnée et raisonnable possible. Toutefois, tu préfères parler agroécologie et agriculture régénératrice. Peux-tu nous en dire plus?
Tout a commencé à Changins lorsque j’ai visité un domaine qui travaille en biodynamie. En reprenant le domaine, j’ai eu la chance de reprendre des vignes qui avaient été travaillées par la famille Drouhin. Dès 2013, j’ai fait appel à des conseillers en biodynamie et en agriculture biologique pour aller dans cette optique. Mais, je ne me sentais pas vraiment à l’aise avec tous ces principes et ces pratiques surtout dans l’explication commerciale.
Avec ma femme, nous nous sommes beaucoup documentés sur le sujet et c’est au cours de l’hiver 2018/2019 que nous avons découvert les principes de la permaculture. Cela différait de ce que j’avais pu apprendre en viticulture et cela a été un déclic. Je préfère m’orienter vers ces pratiques plutôt que de m’enfermer dans un cadre administratif et réglementaire qu’implique une certification. Nos sols n’ont pas besoin de réglementation, ils ont besoin de bon sens agronomique.

La viticulture est une agriculture difficile à conduire en permaculture car c’est une agriculture pérenne. Dès le printemps 2019, nous avons répandu du mulch d’écorces de bois (chêne et frêne) sur les sols pour pailler. Cela nous a permis par exemple, en 2019 d’avoir des sols toujours humides même après deux semaines de sécheresse.
Nous sélectionnons des enherbements pour les semer dans les vignes afin de ramener de la biodiversité dans la monoculture qu’est la vigne. Nous travaillons aussi sur un projet d’implantation d’arbres au sein même des vignes. Nos grand-parents faisaient cela naturellement. Aujourd’hui, nous l’avons perdu par facilité et commodité de travail pour passer avec des tracteurs.
Cette année, nous avons planté des pieds de tomate dans les vignes que nous avons mangés pendant les vendanges! L’objectif est d’amener de la diversité et de faire de la co-plantation.
Que souhaites-tu laisser à la prochaine génération?
Le premier enjeu est de réussir à transmettre un patrimoine, chose de plus en plus difficile en Bourgogne avec la pression du foncier. Puis, d’améliorer les sols et les régénérer pour laisser un patrimoine vivant.
Quels sont les principaux challenges quand on est un jeune vigneron qui s’installe?
Le calvaire administratif et les mauvais conseils te font très vite déchanter de l’idée de départ qui était de juste vouloir faire des grands vins. J’ai eu la chance d’être soutenu par mes parents. Heureusement ! Sinon, je pense que cela m’aurait dégoûté.
Tu as la chance d’avoir hérité d’une pléiade de terroirs qui font rêver. Comment abordes-tu cette diversité?
Cela a été l’une de mes premières questions en arrivant au domaine. J’essaie de travailler de façon la plus durable, la plus simple et la plus cohérente. L’idée est d’être dans la prévention, d’intervenir le moins possible pour laisser le fruit et le terroir s’exprimer. Le vigneron est juste un accompagnateur.
Pour cela, en vinification je vais préférer des élevages courts de 11 mois sur les blancs pour garder cette fraîcheur avec une mixité de tonneliers et peu de fûts neufs. Pour les rouges, nous sommes plus sur 16 mois d’élevage.
As-tu des mentors ou personnes qui t’inspirent?
Oui. Et ils m’ont aidé à trouver une ligne directrice. David Duband m’a beaucoup inspiré avec ses vins, sa philosophie et sa jovialité. Pour les blancs, j’ai été très inspiré par le travail à la vigne réalisé par le Domaine Leflaive ou encore par le Domaine Ramonet.
Quelle est la philosophie de travail au domaine?
Nous sommes une équipe de 12 personnes dont de nombreux amis qui ont rejoint le projet. J’ai été professeur au lycée viticole de Beaune pendant deux ans. J’avais presque le même âge que les étudiants donc cela pouvait m’arriver de les fréquenter hors cadre scolaire. Quand j’avais besoin d’un coup de main au domaine, ils venaient m’aider. Cela a créé de belles amitiés, nous avons vécu des moments forts. C’était donc tout naturel pour moi de leur faire confiance quand je cherchais à recruter. C’est une équipe de copains mais nous bossons dur! L’âge moyen est d’environ 30 ans je crois (rires)! Nous partageons la même vision, nous sommes de la même génération donc cela est facile de travailler ensemble. Ensuite, ma femme Astrid travaille aussi à mes côtés. Elle est architecte et s’occupe de toute la rénovation du bâti.
De quoi es-tu le plus fier?
(Silence, moment d’hésitation) On sera fier de ce que l’on fera demain.
Quel est le plus beau compliment que l’on puisse te faire?
Si la personne en face de moi a compris la philosophie et comprend le message, alors pour moi c’est un beau compliment.
Quel est l’appellation ou le cépage que tu rêverais de vinifier?
Nous avons profiter de la fenêtre laissée ouverte par la réglementation pour planter du Sauvignon en appellation Vin de France à Corpeau (à côté de Chassagne-Montrachet). C’est une fierté car j’ai identifié un terroir qui me semble intéressant pour le Sauvignon et nous sommes très curieux de voir comment cet assemblage cépage, porte greffe (3309) et terroir vont réagir.
Dans cette démarche de diversification, nous avons aussi maintenu le Pinot Gris dans notre vignoble. Cette fois-ci un cépage autorisé. Aujourd’hui, il y a un réel questionnement sur l’étroitesse du patrimoine génétique lié à nos sélections clonales. L’objectif est de favoriser au maximum la diversité pour éviter un drame lorsqu’un ravageur arrive dans un secteur en mono plantation.
Peux-tu nous parler de ton projet dans le Beaujolais, La Combe Vineuse? Pourquoi avoir choisi cette région?
J’adore cette région et ses vins. Je crois que c’est la raison première. J’ai eu la chance de rencontrer Alex Foillard quand j’enseignais. Il est un des précurseurs des vins sans soufre et j’aime beaucoup l’expression de ses vins. Nous avons fait ensemble la première cuvée de Connivence. Chaque année, je m’associe avec un vigneron pour acheter des raisins et faire ensemble une cuvée appelée Connivence
De fil en aiguille en allant chercher des raisins, j’ai rencontré un vigneron à Juliénas qui cherchait à vendre son domaine. Mon beau-frère cherchait à investir dans un domaine donc nous nous sommes associés. Le premier millésime a été 2018 où nous avons juste ramassé les raisins et 2019, première vendange sur place.
As-tu d’autres projets qui te trottent dans la tête?
J’ai plein de projet bien sur mais pour le moment, je suis plutôt dans une phase de stabilisation que d’expansion. J’aimerais trouver un équilibre qui me permette aussi de concilier une vie de famille.
Si je te donne une baguette magique, que souhaiterais-tu modifier?
Je rêverais de changer l’administration et sa lourdeur qui représentent un tiers de mon quotidien.
Quels sont les futurs challenges au domaine?
Dans 5 ans, l’objectif est d’avoir une production abondante sur notre jardin permaculturel. Nous sommes en train de planter 30 ares de jardin pour nourrir l’équipe du domaine. L’objectif est de tendre vers l’autonomie tout en mettant cela en place dans les vignes.
Dans 10 ans, j’aimerais avoir une vie de famille heureuse avec des enfants à qui j’aimerais transmettre ma passion.
Dans 30 ans, je serai très certainement de retour sur un bateau! (rires)
Comment te ressources-tu?
Je fais du sport, je fais du vélo, je cours avec mon chien dans les vignes. J’aime passer du temps en famille et avec Astrid pour parler d’autres choses.
Flot de conscience
- Livre : La Permaculture de la Ferme de Bec Helloin
- Film : Peaky Blinders ou un film de Tarantino ou Scorsese
- Musique : Les Quatre saisons de Vivaldi
- Plat : Boeuf bourguignon
- Millésime : 2018, le plus facile à faire en cave et qui m’a réservé de belles surprises
- Cépage : Un hybride, peu importe lequel
- Bouteille mémorable : Musigny Grand Cru, Comte de Vogüé 1957 qui était encore planté en franc de pied. C’était magique!
- Couleur : Bleu
- Odeur : La coriandre
- Sport : Judo
- Destination : Bretagne à Portsall
- Dimanche parfait : En famille, un peu de sport avant de passer autour d’une bonne table et avec de belles bouteilles.
Marie-Pierre Dardouillet (Editor and photographer)
Vous aimez cette interview et vous
souhaitez réaliser un projet pour votre société, contactez-moi :
marie@cepagescommunication.com
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, distributed or transmitted in any form or by any means, including photocopying or other electronic or mecanical methods, without the prior written permission of the editor.