#14 Interview avec Guillaume Lavollée, Meursault, Bourgogne

Peux tu te présenter et nous expliquer ton parcours?

J’ai rencontré Aude, ma femme, en 2006 et un jour mon beau-père, directeur et propriétaire du Domaine Génot Boulanger à Meursault m’a proposé de le rejoindre dans un premier temps pour l’aider à vendre les vins du domaine. Dès la première année, j’ai repris des études techniques dans le vin à Beaune car j’étais complètement étranger à la filière.

A quel moment t’es-tu senti capable de relever le défi que ton beau-père t’a lancé?

Tout a démarré en 2007 après les vendanges et cette proposition était l’opportunité d’un nouveau départ. Pour Aude, son père ayant repris le domaine qu’en 1998, elle a grandi à Paris et venait passer les vacances à Meursault. Ce nouveau départ rimait donc avec une nouvelle vie à la campagne pour elle aussi. 

A 25 ans, sans enfants, nous avons foncé. Et une fois que tu mets un pied dans le milieu, tu réalises que c’est sans fin. A la vigne, en cave, en commercialisation… il y a toujours des points à explorer. 

Peux-tu nous parler du Domaine Génot Boulanger?

Le domaine tire son nom du nom des grands-parents de Aude. M. Génot épouse Mlle Boulanger. Ils ont fait toute leur carrière au laboratoire Dausse. Dans les années 70, aucun des quatre petits-enfants n’a voulu reprendre le laboratoire, ils l’ont vendu et ils se sont lancés dans une nouvelle aventure, celle du monde du vin! M. Génot avait toujours rêvé d’avoir des vignes car cela symbolise l’ancrage et les racines. 

1974, c’est le premier achat de vignes à Mercurey puis le domaine s’est étendu jusqu’aux années 90 grâce aux deux premières générations pour atteindre aujourd’hui 22 hectares. Depuis 2012, Aude et moi-même gérons l’exploitation et le patrimoine viticole reste un patrimoine familial.

Quel a été le plus gros challenge pour toi en arrivant sur l’exploitation?

Cela a été de comprendre la situation parce que je n’avais pas la formation technique. Pour vous remettre dans le contexte, j’avais 25 ans, je travaillais avec le père de ma petite amie à l’époque, le domaine produisait beaucoup de bouteilles et il y avait une équipe de 20 salariés. C’était avec ces paramètres qu’il fallait que je comprenne l’entreprise et je trouve pourquoi elle n’allait pas bien. 

Le plus compliqué, et le plus simple au final, était de s’entourer des bonnes personnes car à 25 ans, on peut avoir des intuitions mais pas des certitudes. En 2007, notre première initiative a été de nommer un “capitaine” dans le domaine et nous avons recruté Nicolas qui est toujours avec nous. Avec le recul, je peux dire qu’il a été un élément clé dans notre prise de confiance. Grâce à Nicolas, nous avons une personne en charge de la viticulture avec une mission : améliorer le mode de culture. En tant que chef de culture, il a demandé à également participer aux vinifications. Cela faisait tellement de sens d’avoir une personne qui faisait le lien entre la vigne et la cave. J’ai donc appris à ses côtés et aussi avec l’équipe, qui pour certains travaillaient depuis plus de 30 ans au domaine. L’idée était de prendre les informations de partout, de comprendre comment l’équipe travaillait pour apporter des améliorations.

As-tu eu ce syndrome de l’imposteur?

Je n’ai jamais eu cette sensation d’être illégitime. Je me suis toujours senti jeune dans le métier et je me sens toujours comme ça aujourd’hui. Je n’ai pas les 30 années d’expérience de certaines personnes mais cela ne veut pas dire qu’elles ont le même recul que quand tu arrives fraîchement dans le métier.

Il y a une génération pour qui être un bon vigneron, c’était de permettre d’apporter de beaux rendements au propriétaire. Leur faire comprendre que faire une récolte plus petite, de meilleure qualité, mieux valorisée pouvait être aussi économiquement un mode de fonctionnement et en plus, mieux perçue par les consommateurs.

Quel est le plus gros changement mené au domaine?

Depuis 2018, les 22 hectares du domaine sont certifiés en bio mais les premiers essais datent de 2008 et il nous a fallu 3 années pour arrêter progressivement les désherbants et pour tout remettre en labour. Puis, arrivent ensuite les années de crainte, de doute, de peur avec des épisodes de grêle, de mildiou… Tu refais un essai que tu regrettes après… Le fait de ne pas être certifié nous laissait toujours une porte de sortie pour revenir en arrière. C’est pourquoi j’ai poussé l’équipe à aller vers une certification pour ne plus avoir cette tentation. Nous en étions tous convaincus car les preuves tangibles sur la plante étaient visibles. L’exemple le plus flagrant a été la pourriture en 2012 ou 2013 qui était inexistante alors qu’en 2009, millésime théoriquement très sain, nous en avions eu!

La label permet de donner un message clair aux clients et quand tu organises une équipe de 15 personnes, la charte apporte une ligne d’adhésion et de travail cohérente. 

Quel est ton ressenti sur la viticulture et le bio en Bourgogne?

Il y a encore beaucoup de méfiance alors qu’il y a un énorme intérêt pour les producteurs pour ces modes de conduite. Tout le monde, même les non labellisés, adhère au fait que l’on produit de meilleurs raisins avec ces principes. Je pense que tout le monde aujourd’hui est sensibilisé à ces enjeux. Toutefois, la certification fait peur car elle enferme dans des principes, ce qui est vrai dans le fond. Certains sont encore méfiants et je ne leur donne pas le tort. 

Quels sont les futurs challenges au domaine?

D’un point de vue technique, l’amélioration doit être permanente. Je suis convaincu que nous allons vivre une révolution qui sera menée par des révolutions techniques avec les drones pour les traitements (comme c’est le cas en Suisse, par exemple). Cela réduira la pénibilité du travail et améliorera son efficacité. En complément à cela, nous avons fait des essais avec la biodynamie mais par manque de moyens et d’hommes c’est trop compliqué pour le moment. Nous avons 22 hectares répartis sur plus de 70km, nous ne sommes pas encore aujourd’hui en mesure de la mettre en place. Par exemple, quand nous dynamisons une préparation à Meursault, il est difficilement envisageable de l’épandre en Côte de Nuits avec la même efficacité. 

Au domaine vous avez une grande diversité de terroirs sur plus de 70km, situation assez rare en Bourgogne. Comment abordes-tu cette diversité? 

Après 12 années, tu connais davantage tes parcelles et cette maîtrise te permet de travailler au plus proche de la réalité de chaque parcelle. Du Clos Vougeot à Mercurey, en passant par Meursault, la culture, la vinification et la commercialisation sont différentes. 

L’enjeu est de traiter tous les vins avec la même volonté d’exigence et de bien faire selon les caractéristiques de chaque terroir. Cela passe principalement par des actions menées à la vinification avec des extractions ou un nombre de pigeages adaptées à chaque vin. Avec les années, tu gagnes en maturité personnelle ce qui te permet de moins te chercher, de te faire confiance et au final de s’affirmer dans chaque terroir.

Y-a-t-il des vignerons ou des personnes qui t’inspirent?

Quand je suis arrivé au domaine, nous vendions beaucoup en vrac et seule une petite partie de la production était vendue en bouteille. Ce qui m’a permis dès les premières années de me lancer dans le grand bain avec des voyages chez des importateurs et à me retrouver aux côtés des grands noms de la Bourgogne. La première fois de ma vie que j’ai goûté un Gevrey-Chambertin, c’était un de chez Armand Rousseau! Cela donne des repères et cela est très inspirant dans le travail des terroirs au quotidien. De nombreux vignerons m’ont inspiré. Déguster à l’extérieur nous a beaucoup inspiré mais c’est la remise en question en interne qui nous a fait surtout avancer. La complémentarité avec mon oenologue qui a la connaissance technique, nous a permis d’avancer beaucoup plus vite.

Quel est le beau compliment que l’on puisse te faire en dégustant vos vins?

“Vos vins nous ont transmis une belle émotion.” C’est simple. Il n’y a pas de définition fixe à la question “qu’est-ce qu’un grand vin?” mais l’émotion fait la différence entre un bon vin et grand vin.  Dire qu’un vin transmet une émotion est donc le plus beau des compliments que l’on puisse nous faire. Bien entendu, tout cela reste subjectif… c’est d’autant plus spontané et lié à un coup de coeur.

Y-a-t-il un vin, cépage, appellation que tu rêverais de vinifier?

La Bourgogne fait rêver, c’est certain. J’aimerais beaucoup avoir l’opportunité de vinifier une parcelle de Montrachet Grand Cru et voir ce que cela donnerait à côté des grands noms qui nous font tous rêver. La force du domaine Génot Boulanger est de comparer les terroirs de Bourgogne avec la même élaboration et le même soin donner à chaque appellation. En travaillant des vignes sur des grandes parcelles permettrait de sentir la puissance du terroir en ne changeant que ce facteur dans l’équation. 

Etant originaire de l’Yonne, je rêverais d’avoir des vignes à Chablis et de voir comment le terroir s’exprimerait. Quelles seraient les différences entre un Chablis et un Meursault avec les mêmes techniques de vinification? J’ai cette curiosité!

Après je ne connais pas suffisamment les autres régions. C’est pourquoi tous les ans, je réalise un voyage d’étude pour découvrir, échanger et comprendre. Barolo, Jura, Anjoux, Napa Valley et prochaine étape Bordeaux! 

Si je te donne une baguette magique, qu’est-ce que tu améliorerais?

J’essaierai de mettre un terme aux accidents (pas les aléas) climatiques. C’est très lourd de supporter la possibilité de tout perdre en quelques heures. Nous avons été très traumatisés par les millésimes 2012, 2013, 2014 et 2016 où la grêle et le gel en 2016 nous ont quasiment tout enlevé. C’est un traumatisme pour les équipes, pour nous, pour la plante… tout tombe à l’eau dans les plans d’investissement. Cette vulnérabilité aux accidents est très lourde à porter. La baguette me servirait à rendre la métier de vigneron ou d’agriculteur moins traumatisant. 

De quoi es-tu le plus fier?

Je suis fier de la reconnaissance de mes paires. On a beau dire que l’on se fiche de ce que les autres pensent mais cela fait plaisir d’entendre des retours positifs de mes collègues qui m’inspirent sur la qualité des vignes et des vins de Génot Boulanger aujourd’hui. C’est une grande satisfaction.



Flot de conscience 

  • Livre  : les romans d’aventure de Wilbur Smith parce qu’ils me font voyager et m’évader du quotidien. Après, je lis beaucoup de magazines notamment quand je voyage, The Good Life ou Challenge. 
  • Musique : Queen, Don’t stop me now à fond dans la voiture avec les enfants et pour les moments plus calmes, Alain Souchon ou Juliette Armanet que j’ai écouté en boucle
  • Film : ma culture est très faible mais je regarde surtout des films dans l’avion donc sur petit écran! Le roi lion, Intouchable
  • Plat : J’aime tout, du moment que c’est bon! Le plat qui m’émeut le plus est la blanquette de veau car cela évoque mon enfance. C’est un plat rassurant et c’est le premier que j’ai appris à cuisiner
  • Bouteille mémorable  : Quand j’ai dit à mon importateur aux US que je n’avais jamais dégusté un Barolo, après ne pas en croire ses oreilles, il m’a fait la plus grande surprise d’ouvrir un Barolo de Bartolo Mascarello 1982, mon millésime. C’était une grande émotion car j’avais très peu dégusté des vins de mon année. Quelques années plus tard, j’ai visité le domaine et Maria Teresa est venue au domaine à Meursault, c’était une rencontre merveilleuse. Autre moment, un client me confesse qu’il connaît peu la Bourgogne car il apprécie surtout les vins de Bordeaux. Je lui avoue à mon tour que je connais très peu Bordeaux. Il me demande si je connais tout de même les grands classiques et là je réponds à voix basse que … non. Trouvant la situation inadmissible, il me demande de prendre mon manteau et de le suivre chez lui. Et là, il a ouvert un Mouton Rothschild 1982! C’était en pleine après-midi, nous étions un petit groupe d’amis dont 3 à être de cette année. Je garde ce moment gravé en mémoire !
  • Cépage  : Chardonnay et Savagnin
  • Couleur : bleu
  • Odeur : les roses
  • Sport : le golf
  • Destination : la Nouvelle-Zélande
  • Dimanche parfait : une partie de golf, un déjeuner avec les copains et une après-midi en famille avec les enfants

Pour suivre Guillaume et domaine sur Instagram @genotboulanger

Le site web du Domaine Génot Boulanger : genotboulanger.com


L’ensemble de ces textes et photos est le fruit d’un travail personnel, passionné, engagé et de longue haleine. Je vous remercie d’avance de militer pour le respect de la création artistique en ligne. Si mon travail vous plait et vous inspire des projets, contactez-moi à marie@cepagescommunication.com. Toute reproduction ou plagiat sont interdits.